La Vie d'un Dieu - Second extrait

 “Je fus conduit, cette nuit-là, au-delà des jardins de poussière, là où le désert cesse d’être un lieu et devient un seuil. Les étoiles y tremblaient comme des lampes suspendues dans l’eau, car l’air lui-même ondulait sous la respiration du Pharaon.”

“Les prêtres m’avaient bandé les yeux, mais je voyais tout. Je voyais trop. Je voyais les lignes qui séparent les hommes de leurs rêves, les animaux de leurs ombres, les morts de leurs os. Tout cela se mêlait, se tordait, se renversait derrière mes paupières closes comme des serpents dans un panier.”

“Ils m’amenèrent à un bassin d’onyx, où l’eau stagnante reflétait un ciel qui n’existait pas encore. ‘Regarde’, murmura l’un d’eux — et sa voix fit vibrer mon crâne, comme si elle y cherchait un passage.”

“Je regardai. Et je me vis.”
“Je me vis tel que je n’étais pas.”

“Dans l’eau noire, mon visage s’allongeait, mes yeux se creusaient, mes dents devenaient des aiguilles. Je me vis marcher dans un temple sans portes, tenant dans ma main gauche le gourdin sacré, et dans ma main droite quelque chose qui pleurait encore.”

“Je voulais détourner le regard. Mais le Pharaon tenait mes paupières ouvertes, comme on écarte un rideau.”

“Puis l’eau se mit à bouillir. Des bulles éclatèrent, révélant chacune un souvenir — pas les miens, mais les siens. Je vis des empires tomber comme des fruits trop mûrs. Je vis des milliers d’hommes agenouillés, la langue noircie, priant en silence. Je vis un ange sans ailes ramper sur le sable, suppliant pour mourir. Je vis le soleil mourir douze fois, et renaître chaque fois plus affamé.”

“Quand les prêtres me relevèrent, je n’avais plus de souffle. Je n’étais plus certain d’être moi. Je n’étais plus certain qu’il existât seulement un ‘moi’ qui n’était pas déjà en Lui.”

“Alors Il parla.”
“Il ne murmura pas. Il NE souffla pas. Il entra.”
“Dans ma tête. Dans mes os. Dans ma peau.”

“‘Tu pensais pouvoir regarder un dieu sans t’y perdre ?’ dit-Il avec ma propre voix.”

“Et moi — le moi qui restait — je compris.”
“Ce n’était pas moi qui le cherchais.”
“C’était Lui qui, patiemment, depuis le commencement du sable, cherchait un masque à porter.”

“… et qu’Il m’avait trouvé.”

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

New-York - Vendredi 23 janvier 1925

New York - Mardi 20 janvier 1925

New York - Samedi 17 janvier 1925