New York - Samedi 17 janvier 1925
Samedi 17 janvier 1925
Lorsque Sam Genero et Blair Elsner pénétrèrent dans les bureaux froids et impersonnels de la brigade
criminelle du NYPD, ils furent accueillis par le lieutenant Martin Poole. Tentant d’extraire des informations de l’officier tout en livrant à contrecœur des détails sur le culte kenyan et leurs soupçons, les deux hommes firent preuve d’une arrogance déplacée qui ne tarda pas à exacerber la patience du lieutenant. L’entretien, teinté de tension, se conclut sur une note désastreuse, laissant à Poole une impression mitigée.
Pendant ce temps, Alessandro Cagliostro, accompagné d’Edward Lee et de Martin Winifred, entreprit des démarches plus terre à terre, se rendant dans une armurerie pour acquérir un Lüger P08, arme qui pourrait s’avérer précieuse face à l’inconnu qui les guettait. Une fois leur acquisition effectuée, ils rejoignirent Sam et Blair au commissariat, où Alessandro tenta de réparer les dégâts causés par ses camarades.
Dans un élan de franchise calculée, il révéla les détails effrayants de l’affaire : le massacre au ChelseaHotel, l’implication potentielle du culte de la Langue Sanglante, et les indices menant au Kenya. Ses paroles semblèrent réveiller l’intérêt du lieutenant, qui leur confia qu’il travaillait avec un anthropologue, le Dr Mordecai Lemming, en tant que consultant. Poole promit de vérifier leurs informations et de revenir vers eux après l’enterrement de Jackson Elias.
Samedi 17 janvier 1925, après-midi
L’hiver new-yorkais s’accrochait aux pavés comme une malédiction persistante, et le vent chargé d’humidité glissait entre les gratte-ciels, sifflant comme un présage funeste. Après s’être restaurés chez Katz’s Deli, les investigateurs s’étaient séparés en deux groupes, ignorant encore que l’ombre de la Langue Sanglante s’étirait lentement sur eux.
À la bibliothèque : les ombres du passé
Sam Genero et Blair Elsner s’étaient enfoncés à nouveau dans le sanctuaire poussiéreux de la New York Public Library. L’odeur du papier vieilli et des cuirs tannés les enveloppait alors qu’ils se plongeaient dans leurs recherches. Sam traquait la moindre trace du docteur Robert Huston, tandis que Blair remontait le fil sanglant des meurtres similaires à celui de leur ami, Jackson Elias.
Leurs trouvailles avaient un goût amer.
Huston, fils d’un médecin de Chicago au passé sulfureux, brillant étudiant à Johns-Hopkins, puis disciple de Freud et Jung à Vienne. Une ascension fulgurante stoppée nette par le suicide d’une patiente, une liaison étouffée par Roger Carlyle en échange de son départ en expédition. Ses dossiers, conservés au Bureau des Affaires Médicales, étaient restés intacts, comme si personne n’osait en effacer les secrets.
Quant à Blair, les coupures de presse qu’il exhumait composaient un sinistre tableau. Une suite macabre de corps éventrés, de visages marqués d’un symbole mystérieux, de témoins effrayés murmurant des histoires d’ombres mouvantes et d’hommes aux yeux noirs. Scariface. Le surnom maudit revenait encore et encore, s’imprimant dans son esprit comme une menace silencieuse.
Prospero Press : la voix du mort
Pendant ce temps, Alessandro Cagliostro, Edward Lee et Martin Winfred avaient franchi la porte du bureau encombré de Prospero Press. L’odeur d’encre et de papier ranci leur était parvenue immédiatement, et Jonah Kensington, cerné et voûté, les avait accueillis d’une voix rauque, étranglée par le chagrin et le manque de sommeil. Il les avait fixés longuement avant de prendre la parole.
Il avait parlé de Jackson Elias comme on parle d’un fantôme. Des lettres fiévreuses envoyées du Kenya, évoquant une vérité trop grande, trop monstrueuse pour être contenue dans des mots. Des notes décousues où s’entremêlaient des légendes tribales, le massacre d’une expédition maudite et le culte d’une entité indicible, nichée au sommet d’une montagne que même les autochtones redoutaient. Les corps retrouvés, intacts malgré les mois d’abandon, les accusations trop bien ficelées contre les soi-disant coupables, l’absence totale de cadavres blancs sur le site du massacre… Puis, parmi ces notes griffonnées à Nairobi, un détail l'avait particulièrement interpellé : au Victoria Bar, Elias avait fait connaissance avec un certain Nelson, un mercenaire travaillant pour les Italiens. Nelson affirmait avoir vu Jack Brady, bien vivant, à Hong Kong, moins de deux ans plus tôt, en mars 1923.
La révélation était stupéfiante. Jack Brady, censé avoir péri avec l’expédition Carlyle en Afrique, était encore en vie. Tout cela ne formait qu’un puzzle incomplet, dont les dernières pièces échappaient encore à Elias.
Puis Jonah Kensington avait évoqué les derniers jours de son ami. L’excitation hystérique, la paranoïa grandissante, les rêves étranges où revenaient peut-être les visions de Roger Carlyle. Un portail, des livres interdits, une menace qui grandissait dans l’ombre.
Il leur avait remis enfin une carte postale, envoyée d’Australie, et les noms de deux contacts à Londres : Mickey Mahoney du Scoop et James Barrington de Scotland Yard. Avant de les laisser partir, il leur avait lancé un dernier regard, chargé d’attentes et de regrets.
« Trouvez son meurtrier. Terminez ce qu’il a commencé. »
L’ombre sur la route
Sur le chemin du retour, une présence invisible les avait frôlés. Un véhicule Ford Model T avait glissé derrière eux, insidieux. À son bord, un homme blanc au volant et un passager noir, dont le regard semblait transpercer le tissu même de la réalité. Edward Lee, mains crispées sur le volant, avait esquissé une manœuvre. Un virage brusque, un coup d’accélérateur, et leurs poursuivants avaient disparu dans le labyrinthe urbain.
Mais la sensation demeurait. Celle d’être épiés. Traqués.
Un message venu du passé
De retour à son domicile, Margarita avait remis à Alessandro un télégramme portant le sceau de la Western Union. Son cœur avait manqué un battement en reconnaissant l’expéditrice : Victoria Post.
Quelques années plus tôt, leurs chemins s’étaient croisés de manière plus intime, mais le temps et les circonstances les avaient éloignés. Son télégramme, en réponse à celui qu’il lui avait adressé précédemment, était bref mais prometteur :
"Cher Alessandro, ravie d’avoir de vos nouvelles. Retrouvez-moi demain après-midi à la galerie. 744 Madison Avenue. Nous avons beaucoup à nous dire. - V."
Victoria Post, jeune galeriste influente du cercle artistique new-yorkais, était aussi une amie proche d’Erica Carlyle. Une porte d’entrée vers la puissante héritière du clan Carlyle, peut-être une piste décisive dans cette enquête tentaculaire.
Le papier s’était froissé légèrement entre ses doigts. Que savait-elle ?
Le Victoria’s Jazz Club : un refuge dans la nuit
La soirée approchait, et le Victoria Jazz Club offrait une parenthèse bienvenue après une journée éprouvante. Dès qu’ils avaient franchi les portes de l’établissement, les investigateurs avaient été happés par une atmosphère enivrante. La musique vibrait dans l’air épais de fumée, les conversations se mêlaient aux accords syncopés du piano, et un parfum d’interdit flottait sur cette enclave où les mondes se croisaient et s’oubliaient.
Accueillis avec chaleur par Malaïka la gérante, ils avaient trouvé rapidement une table et commandé à manger. Le gérant Mbogo, un homme au smoking et aux chaussures bicolores impeccables, avait engagé la conversation, curieux de ces nouveaux visages. L’endroit attirait un public éclectique : artistes, intellectuels, hommes d’affaires en quête de frissons nocturnes. Rien ici ne laissait penser à une quelconque menace.
Tout en profitant d’un repas inattendu, composé de plats typiquement kikuyu — des ragoûts parfumés, des galettes moelleuses et des épices rappelant les terres lointaines d’Afrique de l’Est —, ils avaient scruté attentivement leur environnement. Chaque visage, chaque silhouette avait été analysé, mémorisé au cas où ils auraient à recroiser l’un de ces individus dans un contexte moins accueillant.
À leur demande, Mbogo leur avait indiqué d’aller voir le vieux Sylas à la boutique Ju-Ju afin de découvrir sa collection d’antiquités africaines ou de trouver un remède à l’amour.
Une recommandation précieuse, peut-être le début d’une piste.
Les heures avaient passé dans une relative insouciance, et quand les investigateurs avaient quitté l’établissement, ils l’avaient fait avec l’impression d’avoir trouvé un lieu où se ressourcer.
L’infiltration : les dossiers du docteur Huston
La nuit était tombée lorsqu’ils décidèrent d’agir. Le Bureau des Affaires Médicales, situé au croisement de Park Avenue et de la 61e rue, se dressait devant eux, imposant et silencieux. Une unique lueur filtrait à travers une fenêtre, signalant la présence d’un vigile.
Edward Lee était resté à l’extérieur, guettant le moindre mouvement, tandis qu’Alessandro Cagliostro, Sam Genero et Blair Elsner s’étaient introduits discrètement dans le bâtiment. L’homme en faction représentait un obstacle, mais une diversion bien placée permit à Sam Genero de l’assommer proprement. Une tâche nécessaire. Un mal pour un plus grand bien.
À l’intérieur, parmi les archives silencieuses, ils trouvèrent ce qu’ils étaient venus chercher.
Le dossier d’Erica Carlyle était mince, presque anodin. Il contenait quelques consultations hors de prix, révélant une personnalité affirmée, une sœur préoccupée par son frère, mais rien de plus.
Celui de Roger Carlyle, en revanche, pesait d’un poids malsain. Les documents retraçaient des entretiens étalés sur un an, décrivant un patient en proie à des rêves récurrents d’Égypte, hanté par des figures monstrueuses et un éclat d’énergie obsédant. Un nom revenait sans cesse : M’Weru. Anastasia. La prêtresse. Une menace, une fascination. Une emprise.
Et enfin, la menace ultime de Carlyle envers Huston : « Si tu ne viens pas avec moi, je te détruirai. »
Ils refermèrent le dossier, mais une impression persistante restait suspendue dans l’air. Ils n’avaient fait qu’effleurer la surface d’une horreur bien plus grande.
Le silence de la nuit les engloutit tandis qu’ils quittèrent les lieux, emportant avec eux des vérités qui auraient peut-être dû rester enfouies.
Alessandro, Blair, Sam et Edward regagnèrent la résidence new-yorkaise d’Alessandro, nichée au 19 de la 84ᵉ rue Est, dans l’Upper East Side. L’horloge affichait trois heures du matin lorsque la porte massive se referma derrière eux, les isolant temporairement du danger qui rôdait dans les rues glacées de Manhattan. Mais pouvaient-ils véritablement se croire à l’abri ? La menace de la Langue Sanglante pesait sur eux comme une ombre insidieuse, prête à s’abattre au moment le plus inattendu. Convaincus que la nuit ne leur offrirait aucun répit, ils décidèrent d’organiser des tours de garde.






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