La Traversée - RMS Aquitania - Mardi 27 janvier 1925
L'adieu à New-York
Le mardi 27 janvier 1925 au matin vit le départ de Blair, Sam, Martin, Monsieur Lee et Alessandro pour le Vieux Continent.
Nul ne le formula à voix haute, mais chacun d’eux se posa la même question silencieuse tandis que les amarres se détachaient lentement : reverraient-ils un jour New York ?
Ils l’espéraient tous.
Aucun n’en était certain.
La statue de la Liberté, figée dans son geste immuable, sembla un instant les observer partir — non comme une promesse, mais comme un avertissement muet.
Le RMS Aquitania, fleuron de la Cunard Line, fendit les eaux froides avec une assurance souveraine. À son bord, plus de quinze cents passagers s’étaient installés pour la traversée : diplomates, industriels, héritiers désœuvrés, voyageurs fortunés et silhouettes anonymes dont le regard glissait trop vite.
Les cinq compagnons gagnèrent leurs quartiers de première classe, vastes cabines feutrées où l’odeur du bois ciré se mêlait à celle du linge propre et du charbon brûlé dans les entrailles du navire. Sept jours de traversée les attendaient. Sept nuits à dériver entre deux continents… et peut-être entre deux états du monde.
Blair, Monsieur Lee et Alessandro tentèrent, les premières heures, de se fondre dans la normalité luxueuse
que proposait le paquebot. Ils fréquentèrent les salles communes :le grand salon palladien aux colonnes élégantes,
le petit salon plus intime,
les deux jardins d’hiver baignés d’une lumière artificielle et végétale,
les salons de correspondance où l’encre grattait le papier comme pour conjurer l’ennui,
et le fumoir de style Restauration, saturé de tabac blond et de conversations feutrées. La salle à manger — nommée sobrement restaurant — étalait un faste d’inspiration Louis XVI, où les couverts d’argent tintaient avec une régularité presque cérémonielle. La piscine intérieure et le gymnase offraient l’illusion d’un corps sain et d’un esprit apaisé, même si l’absence remarquée des bains turcs — retirés du projet après 1912 — laissait une sensation d’inachevé, comme une promesse retirée à la dernière minute.
Sam, encore affaibli par ses blessures, et Martin choisirent quant à eux de rester en retrait. Ils demeurèrent
dans la cabine, veillant sur les livres et les artefacts ramenés de New York, comme on surveille des braises encore rouges. Aucun d’eux n’aurait su dire pourquoi, mais l’idée de laisser ces ouvrages seuls, même quelques heures, leur paraissait profondément déraisonnable.La journée du mardi s’acheva sans incident.
Le roulis régulier du navire, le murmure lointain des machines et le bruissement constant de l’océan finirent par imposer une paix factice. Une paix de surface.



Commentaires
Enregistrer un commentaire