La Vie d'un Dieu - Troisième extrait

 

La Salle du Trône

“Cette nuit-là, les prêtres me menèrent sous la terre par un passage si étroit que la pierre me dévorait le dos. L’air avait le goût du fer. Chaque pas effaçait le précédent.”

“Je crus d’abord que nous descendions dans un tombeau — mais je compris bientôt que c’est du tombeau que nous montions. Car la pierre se faisait plus lourde, plus chaude, comme si nous grimpions dans la gorge d’un géant enterré, vers son souffle obscur.”

“Puis vint la salle.”

“La Salle de Celui-qui-n’a-pas-de-visage.”

“Elle était taillée dans une seule dalle de basalte, polie comme un miroir, mais un miroir où les reflets se traînaient avec un léger retard. Le plafond disparaissait dans les ténèbres ; on n’en percevait que la respiration, lente et titanesque.”
`
“Au centre se dressait le Trône.”
“Non pas un siège, mais une encoignure de pierre, hérissée de pointes d’obsidienne, sculptée à la manière des antiques palanquins royaux — mais pour un roi qui ne s’assied jamais.”

“Au-dessus, suspendu sans chaînes, lévitait un masque d’or noir.”

“Un visage sans traits, lisse comme la lune. Seulement deux fentes verticales, trop longues, trop profondes, où s’agitaient des ombres qui n’étaient pas les nôtres.”

“Les prêtres se prosternèrent.”

“Moi, je fus contraint de m’approcher.”

“Chaque pas résonnait comme un gong étouffé. Je sentais dans ma gorge battre un cœur qui n’était pas le mien. Je sentais mes pensées s’égrener derrière moi sur la pierre, abandonnées comme des cailloux.”

“Quand je fus assez près, le masque s’inclina.”

“Il m’avait vu.”

“Et alors le Trône s’ouvrit.”

“Comme une blessure.”

“Comme une bouche.”

“Comme le début d’une phrase prononcée par un dieu tapi depuis l’enfance du monde.”

“Un bras en sortit. Long. Inhumain. Articulé de la mauvaise manière. La peau sombre et lisse, comme huilée, comme vivante. Je vis les doigts — trop nombreux — s’ouvrir dans un geste de bénédiction.”

“Il me toucha la tête.”

“Je vis la naissance des étoiles. Je vis la fin de la dernière lumière. Je vis l’histoire entière de la Terre s’ouvrir comme une fleur malade. Et dans cette fleur, au cœur, pulser Son nom.”

“Il me dit :”

“― Tu ne m’adoreras pas. Tu me serviras.”`

“Puis Il disparut dans la pierre comme s’Il n’avait jamais été là.”

“Mais le Trône, lui, battait encore. Comme un cœur sous le sol.”

“Et je sus qu’un jour, moi aussi, je devrais m’y asseoir.”

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

New-York - Vendredi 23 janvier 1925

New York - Mardi 20 janvier 1925

New York - Samedi 17 janvier 1925