New York - Dimanche 18 janvier 1925

 Dimanche 18 janvier 1925


Les griffes du cauchemar


Alors que le silence nocturne étendait son linceul sur la demeure, Blair sombra dans un sommeil agité. À 4h40 du matin, un frisson d’angoisse le tira brusquement de son sommeil. 

Désirant se rafraichir, il gagna la salle de bain et bu, se tenant pieds nus sur le carrelage glacé. Une moiteur poisseuse alourdissait l’air, charriant une odeur insoutenable de sang rance et de chair brûlée. Quelque chose n’allait pas.

Lorsqu’il leva les yeux vers le miroir, il se figea. Son reflet… était lui, mais vidé de sa substance. Son teint blême, ses traits creusés, un mal invisible semblait ronger son être. Puis, une sensation étrange s’insinua sous sa peau. Une pression, une démangeaison… et soudain, une fissure.

Au centre de son front, une fine plaie s’ouvrit d’elle-même, laissant suinter un liquide noirâtre à l’odeur de mort. Peu à peu, sa chair se détacha en lambeaux visqueux, révélant une marque gravée à même son crâne. Un symbole impossible, pulsant au rythme de son propre sang, buvant son essence, celui de la Langue Sanglante.

Un murmure s’insinua alors dans son oreille, glacial, trop proche.

"Nous sommes là. Nous avons toujours été là."

Un éclair de douleur foudroya son crâne. Blair se réveilla en sursaut, le souffle court, la gorge brûlante. L’odeur de pourriture imprégnait encore ses narines. Tremblant, il porta une main fébrile à son front… intact. Et pourtant, il pouvait encore sentir cette marque, gravée dans quelque chose de plus profond que la chair.


Au matin, un copieux petit-déjeuner, préparé avec soin par Margarita, offrit aux investigateurs une brève parenthèse de réconfort. Sam mit la dernière main à un nouveau dossier destiné à Bradley Grey, l’avocat d’Erica Carlyle, un document plus complet que le précédent, mettant en doute la mort des membres blancs de l’expédition. Pendant ce temps, les autres s’adonnèrent à un entraînement au couteau sous l’œil expert de Martin, leur enseignant les rudiments de cet art létal.
L’après-midi venu, après un repas savamment élaboré par Margarita, ils reprirent leurs investigations.


Les ombres du passé

Sam et Blair, escortés par Martin, se rendirent tout d’abord au cabinet d’avocats-conseils Dustan, Whittleby & Grey afin d’y déposer le dossier destiné à Bradley Grey. Puis, leurs pas les menèrent jusqu’à la New York Public Library, dans l’espoir d’en apprendre davantage sur Sir Aubrey Penhew et Jack Brady.
Les recherches furent fructueuses.


Sam découvrit le parcours militaire et académique de Sir Aubrey Penhew : un érudit de renom, diplômé d’Oxford, un explorateur passionné par l’Égypte, un officier des Renseignements militaires britannique… et un homme dont la fortune ne semblait avoir fait que croître, même durant la guerre. Pourtant, certains détails intrigants se détachaient de cette biographie bien trop lisse, notamment l’évocation d’un ancêtre décapité pour trahison et sorcellerie.

De son côté, Blair s’attarda sur le passé trouble de Jack Brady.
Mercenaire, bagarreur, criminel à la force colossale, il avait survécu à une affaire de meurtre grâce à des avocats de renom, financés par une source inconnue. Son acquittement relevait du miracle judiciaire. Peu après, il avait rejoint Roger Carlyle, devenant son inséparable ombre.


Un murmure dans l'obscurité

Pendant ce temps, Alessandro et Edward se rendirent à la galerie d’art de Virginia Post, située au 744 Madison Avenue. L’élégant établissement exposait des œuvres modernes, dérangeantes, où se mêlaient influences cubistes et grotesques. Alessandro ressentit un profond malaise devant une toile particulière : une silhouette humaine éclatée en fragments, son visage dévoré par des ombres indéfinissables.
L’ancienne amante d’Alessandro lui offrit une visite privée de l’exposition, et bien vite, leurs souvenirs communs refirent surface. Finalement, il lui exposa la véritable raison de sa venue : obtenir un rendez-vous avec Erica Carlyle. Il lui révéla que Jack Brady avait été aperçu à Hong Kong en 1923, laissant entendre que Roger Carlyle lui-même pourrait être encore en vie. Séduite et convaincue, Virginia lui promit d’intercéder en sa faveur.


Dehors, Edward patientait dans l’Isotta. La nuit tombait, et la neige recouvrait Manhattan d’un linceul silencieux. Le froid mordait ses doigts malgré ses gants. Soudain, un grésillement. La radio, pourtant éteinte, laissa échapper un souffle sourd, presque animal. Puis un bruit sec. Un infime crissement sur la banquette arrière. Il vérifia le rétroviseur. Rien. Mais une angoisse indicible lui serra le cœur. Il sortit de la voiture, scruta les alentours. Personne. Pourtant, lorsqu’il contourna le véhicule, il sentit son souffle se figer.
Sur le pare-brise arrière, dessiné à même la buée, un symbole qu’il connaissait trop bien : celui de la Langue Sanglante.
Le cœur battant, il observa une dernière fois la rue déserte avant de s’engouffrer dans la voiture, pressé de quitter les lieux.


Les pièces du puzzle

C’est dans le calme trompeur d’un intérieur cossu, quelque part dans les hauteurs feutrées d’un quartier que la folie semble encore épargner, que nos investigateurs se réunirent. L’appartement d’Alessandro, avec ses tentures épaisses, ses boiseries vernies et ses odeurs de cuir et de vieux livres, semblait vouloir les protéger de ce que le monde extérieur ne voulait plus ignorer : un mal rampant, ancestral, invisible, et pourtant bien réel.

Autour d’un apéritif où les verres tintèrent faiblement, et d’un dîner que nul ne parvint véritablement à savourer, les esprits se tournèrent vers le lendemain : l’enterrement de Jackson Elias. Tous, sans se le dire vraiment, savaient que la Langue Sanglante rôdait dans les ombres, tapie, prête à frapper. Par instinct de survie, ils décidèrent de passer la nuit ensemble, réunis dans le salon, tel un campement de fortune au cœur d’un bastion fragile.

Mais le sommeil, cette trêve illusoire, fut tout sauf un répit.





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